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A Di-Da Phat Vietnam

«Bicycle Bob» Silverman est bien connu pour ses efforts pour promouvoir la bicyclette. Mais il a aussi été très impliqué dans la lutte pour mettre fin à la guerre du Vietnam. Cet Hiver, Bob est allé en visite au Vietnam.

Entrevue par Katie Curtin


Pourquoi avez-vous decidé d'aller au Vietnam?

Je crois en la réincarnation. J'ai fait déja des voyages dans des vies antérieures, où j'etais un poète un poète vivant à Hue pendant le 19ième siècle. C'est peut-être la raison fondamentale de mon attirance envers le Vietnam. J'ai toujours eu beaucoup d'admiration pour ce peuple qui à lutter avec tant de courage contre les colonialismes français te américains. Ils ont réussi à gagner leur libération nationale contre la plus grande puissance militaire de I'histoire. Et comme des millions de gens partout dans le monde, j'ai été impliqué dans la lutte contre I'intervention américaine au Vietnam. Également, je suis un passionné de la bicyclette; j'avais entendu dire que le Vietnam était un pays où la bicyclette est trés valorisée comme moyen de transport.


Quelle est I'attitude du gouvernement vietnamien envers les touristes?

Avant le 6ième congrès du Parti Communiste en décembre 86, le Vietnam était ouvert seulement aux touristes des pays socialistes. Mais à présent, on commence à encourager le tourisme de plus en plus, car c'est un moyen de développer I'économie et d'obtenir des devises étrangères.

Pendant ma visite, j'ai vu des touristes des pays d'Europe de I'Est et d'Union Soviétique, des touristes italiens, des américains, des britanniques, des français et beaucoup de japonais. C'étaient surtout des groupes, mais on voit également du tourisme individuel. Ceux que j'ai rencontrés étaient tous ravis de leur expérience au Vietnam. Ils en ont aimé les attraits naturels: les plages, le delta du Mekong, les cavernes, les beaux lacs et les montagnes. J'ai eu la chance de visiter des pagodes, de voir un orangeraie et une plantation de noix de coco. On peut voir les sites historiques de la révolution comme la maison et la tombe de Ho Chi Minh, le dirigeant de la lutte pour la libération nationale et fondateur du Parti Communiste Vietnamien. On peut aussi visiter la piste Ho Chi Minh et la vallée de Diem Bien Phu; où a eu lieu la fameuse bataille déterminante dans le victoire des Vietnamiens contre les Français.

Les tunnels creusés du Cu chi sont vraiment remarquables. lls sont situés à 70 kilomètres au nord de Saïgon. Environ 15,000 Vietnamiens s'y sont cachés pendant douze ans pour se protéger. Les entrées des tunnels étaient très petites, mais à I'intérieur, c'était immense. II y avait des générateurs, des usines, des hôpitaux, des vieux bazookas qu'ils avaient construits là-dedans. Les Américains n'ont jamais pu pénétrer dans ces tunnels car les entrées étaient trop petites pour eux -mais pas pour les Vietnamiens. C'était le triomphe du petit sur un plus grand.


Quelles sont les commodités pour les touristes?

Dans les hôtels où je suis allé, il y avait de I'électricité et de I'eau chaude, qui pouvait parfois aussi manquer à I'occasion. Les chambres étaient propres et grandes; les lits était bons et il y avait des moustiquaires. La bouffe était superbe, mieux qu'ici, avec une grande variété de plats. Beaucoup de poisson, de la pieuvre, du crabe, des crevettes, des oiseaux tropicaux, de la soupe et du riz. C'était délicieux et abondant. II y avait aussi beaucoup de fruits, d'oranges, de pamplemousses des mangos et des noix de coco.


Est-ce que c'était facile pour vous de parler et d'avoir des contacts avec les gens ordinaires?

Il y a un vaste écart entre ce qu'on dit du Vietnam en Amérique et la réalité. Des articles dans le New York Times racontent que c'est impossible de parler aux Vietnamiens parce qu'ils ont trop peur! Peut-ètre était-ce comme ça avant le 6ième congrès, mais ce n'est plus du tout le cas. Au 6ieme congrès tenu en décembre 86, plusieurs vieux communistes ont démissioné. Le congrès a pris des résolutions d'ouverture, permettant une plus grande liberté de presse et de mouvement. Le nouveau secrétaire général du Parti, Nguyen Van Linh, un genre de mini-Gorbatchev, a promis des réformes économiques comme en Chine: encourager les pelites entreprises privées, avoir des marchés libres et établir des projets conjoints avec des compagnies étrangéres. Les gens semblaient satisfaits de ces changements.

J'ai pu aller partout où je voulais. J'étais le seul blanc à bicyclette à Saïgon. Personne ne m'a arrêté pour me demander si j'avais mon visa. Je suis resté chez une famille vietnamienne pendant douze jours sans le moindre problème. J'étais invité partout et j'ai entendu les gens critiquer ouvertement le gouvernement. Ils ne se plaignaient pas du manque de démocratie, mais plutôt de problèmes économique tels que les bas salaires et I'inflation. Ils se plaignaient aussi de la corruption de certains cadres, qui demandent des pots-de-vin pour un service ou pour la permission d'émigrer. Apparamment, ils sont en train de rédiger une loi contre les abus de pouvoir et le gouvernement encourage la presse à exposer les cas de corruption. Je n'ai rencontré aucune hostilité malgré le fait que je sois nord-américain. Les gens, voyant que j'étais étranger, m'ont aidé beaucoup.

Quand j'ai gravi la montagne la plus sacrée du Vietnam, le Chu Huong, les gens voulaient se faire photographier avec moi. Tout le monde disait "A Di-Da Phat", ce qui veut dire: "Lâche pas". Les gens me donnaient constamment du riz et des petites pommes vietnamiennes pour m'encourager et pour me montrer leur respect.


Quelles sont les conséquences de la guerre au Vietnam?

Le Vietnam a beaucoup souffert de la guerre. Jamais un pays n'a subi autant de destruction. Des 15,000 villages qui existaient au sud, plus de 10,000 ont été rasés par les Américains. Ils ont laissé tomber trois fois plus de bombes sur le Vietnam, que toutes les bombes utilisées pendant la deuxième guerre mondiale. Et le Vietnam est un tout petit pays, de la grandeur de la Californie.

De 1965 à 1975, selon les rapports américains, 10 millions de personnes ont été obligées de quitter leur village à cause des bombardements. II y a eu 1.5 million de Vietnamiens tués. Et même aujourd'hui chaques jour des gens sont tués par des mines et des bombes qui restent encore dans certains régions. Environ 19 millions de gallons de défoliants ont été déversés, détruisant les forêts, et causant de graves problèmes de santé. J'ai vu les forèts près de Saigon et Dalat, et elles m'ont semblé assez florissantes. Mais il semble que dans les hauts plateaux où il y a eu beaucoup de batailles et dans les forêts du delta, comme la fameuse forêt de U-Minh, c'est un vrai désastre écologique. J'ai eu la chance d'avoir une entrevue avec le Dr Nguyen Kach Vien, un écrivain et intellectuel vietnamien, mondialement connu. II m'a dit que ça va prendre cinquante ans pour que les forêts se rétablissent. En saison des pluies, on assiste à une érosion excessive, en saison sèche, il y a des feux. Tous les animaux sont partis, il n'y a plus de lapins, ni de tigres. Ce qui resle, ce sont des rongeurs, des rats et des souris, et ils répandent des maladies, comme la peste. Les dioxines qui viennent des défoliants déversés sont un produil très toxique et cancérigène. Elles entrenl dans les chromosomes et les enfants naissent malformés; les avortements spontanés sont anormalement nombreux. Les Américains ont mené une politique d'urbanisation forcée. Ils donnaient des bonbons aux citadins et punissaient les villageois. Le Vietnam du Sud qui comptait 15% de population urbaine en 1960, en comptait 45% en 1974 et même 65% si on compte les centres de regroupement de personnes déplacées. Comme Nguyen Kach Vien le dit dans son livre "Sud Vietnam, au fil des années (1975-1985)" ce chiffre est celui d'un pays très industrialisé, alors que le Vietnam ne possède pratiquement pas d'industries. L'économie du Vietnam a été maintenue par une injection massive de fonds venant des Etats-Unis. En tout, 6.7 millions personnes vivaient de salaires et de traitements versés par I'Amérique.

À la fin de la guerre, Nixon a promis une aide américaine de $3.5 milliards pour la reconstruction du Vietnam. Mais la politique actuelle est de saigner le Vietnam à blanc. Non seulement les États-Unis ne donnent pas l'aide promise, mais utilisent tous les moyens pour maintenir un embargo total. Même les petits cadeaux rapportés par les américains de souche vietnamienne ont été saisis par la douane américaine à Los Angeles. Les douaniers ont dit que c'était illégal d'acheter des produits du Vietnam. Récemment les américains ont fait tout en leur pouvoir pour empêcher les compagnies japonaises d'ouvrir des usines au Vietnam, en proférant des menaces de boycottage contre ces compagnies japonaises. Il ne faut pas non plus oublier le comportement des Chinois, qui ont attaqué le Vietnam en 79. Encore aujourd'hui, il n'y a pas de communication entre les deux pays, et la train entre eux ne fonctionne pas. C'est horrible parce que c'est supposé être un voisin socialiste, donc amical, juste à coté.


Quels sont les problèmes économiques auxquels les Vietnamiens font face actuellement?

De graves difficultés économiques sont dues à la destruction causée par la guerre, le boycott américain et des problèmes reliés au sous-développement. Je n'ai vu aucun tracteur. L'électricité à Hanoï était parfois coupée pendant la journée. L'interruption de I'aide américaine a mené à un chômage important de I'ordre de 3.4 millions sans emploi. On a réussi à réduire ce chiftre, mais il reste encore un taux de chômage élevé. Les salaires sont bas pendant que I'inflation galope. À mon avis, les plus pénalisés sont les employés du gouvernement, les cadres ou les professeurs. Souvent, ils cumulent deux emplois, pour arriver à joindre les deux bouts. II y a beaucoup de monde, dans les villes, qui s'inquiètent de leur prochain repas.

Mais comme partout ailleurs, certaines couches de la population vivent aisément. A Saïgon, 70% ont de la famille à I'extérieur du Vietnam et en reçoivent de I'argent. Avec ce revenu, ils sont souvent capables de vivre très bien, même sans travailler. J'ai vu des gens qui était très pauvres et c'était souvent parce qu'ils n'avaient personne pour les aider en dehors du Vietnam. Mais, à la campagne, tout près de la source d'alimentation, les gens vivent beaucoup mieux. II existe une politique gouvernementale favorisant la campagne et qui encourage la population à retourner dans leurs anciens villages. Ceci renforce la conscience villageoise. Avec une amie, j'ai visité My Lai, son village d'origine détruit pendant la guerre et en reconstruction. J'y ai rencontré beaucoup de gens qui avaient été déplacé par la guerre, et qui sont ensuite revenus chez eux. Mais ce n'est pas dû seulement à la politique du gouvernement: c'est aussi parce qu'ils veulent être proches de leurs amis et de leurs ancêtres, étant donné que leurs culte, c'est celui des ancêtres. Chaque maison que j'ai visitée avait un autel pour les ancêtres. Ils se sentent plus à l'aise dans leur ancien tissu social qui inclue les ancêtres, la famille et les gens de l'école.


Quels sont, à votre avis, les gains de la révolution?

C'est d'abord la paix, la fin de la domination impérialiste, I'unification, la réforme agraire et d'autres réformes sociales, dont l'alphabétisation et la sanlé. On semblait porter une grande attention à I'éducation. J'ai parle à un haut fonctionnaire du Ministère de I'Educalion, à bicyclette. II m'a dit gue le nombre des universités a doublé après la révolution. En campagne, ils ont construit des écoles et ont installé I'électricité. II y améliorations à la santé publique. Beaucoup de Vietnamiens, des étudiants, des travailleurs, vont étudier en Russie et dans les pays d'Europe de I'est. Ça va importer des connaissances techniques, par exemple les ingénieurs qui vont revenir contribueront au développement du Vietnam.


Parlez-nous un peu du système de santé au Vietnam?

Une des choses les plus mémorables de mon séjour est une visite que j'ai faite à un hôpital à Hanoï. C'était aussi un centre de recherche sur la médecine traditionnelle. Ici, la médecine traditionnelle est illégale, mais au Vietnam, elle est garantie dans la constitution. J'ai parlé avec le directeur, Dr Chau. II m'a dit qu'on traitait les gens par les plantes, par I'acupuncture, par une sorte de gymnastique douce avancée et autres méthodes traditionnelles. Lui, était aussi médecin de formation moderne. On étudie actuellement comment la médecine des plantes guérit. II m'a dit qu'il y a beaucoup de touristes qui visitent I'hôpital et m'a invité à voir une opération de la thyroïde avec anesthésie par acupuncture.


Auparavant, la lutte du Vietnam était surtout celle de la libération nationale. Quelle est maintenant leur lutte contre les ingérences?

La libération nationale a été un thème très important. Ils sont un peuple très fier et très nationaliste. Ils ont été dominés par les Chinois pendant plus d'un millier d'années mais les Chinois n'ont jamais réussi à les assimiler. Les Vietnamiens sont parmi les seuls à avoir résisté aux Mongols. Et, en ce siècle même, ils se sont battus pendant des décennies contre les Français et les Américains.

Depuis la libération, la culture vietnamienne est revalorisée. On constate ceci dans I'écriture. C'est un thème dans le livre de Nguyen Kach Vien, alors qu'il parle du Nouveau Vietnamien, le vietnamien qui est Vietnamien. Les livres se sont multipliés, beaucoup de pièces écrites en vietnamien. Avant c'était peu valorisé, le monde écrivait en français, même Nguyen Kach Vien a écrit plusieurs grands livres en français.


Quelle est la situation des femmes au Vietnam?

Dans tous les secteurs de travail, les femmes ont des salaires égaux et des opportunités de promotions. Mais il y a des limites au pouvoir de I'état. Si quelqu'un est méprisant envers sa femme, c'est difficile à faire évoluer. J'ai parlé avec des femmes qui m'ont dit qu'il n'y avait pas de harcellement sexuel. Pendant mon séjour au Vietnam, je n'ai vu aucun harcellement sexuel, sauf par un touriste américain dans un bar.

C'était sécuritaire pour les femmes de se promener seules les soirs, j'en ai vu des milliers. II y a très peu de viols aussi. II n'y avait pas de publicité sexiste ou pornographique.

En effet il n'y avait pas de publicité. C'est quelque chose j'ai bien aimé. Je n'aime pas le bombardement incessant de publicité ici, au Canada. Je n'ai presque pas vu d'affiches, sauf une très belle contre I'alcool au volant, à I'intention des motos, et plusieurs affiches du gouvernement. II n'y avait pas de photos du dirigeant du Parti Communiste, Nguyen Van Linh. Par contre, j'ai vu des photos de Ho Chi Minh dans beaucoup de maisons et de bureaux. C'était une manière d'appuyer le gouvernement. En campagne, en particulier, j'ai vu beaucoup de photos de Ho Chi Minh.


Qu'est-ce qui vous a le plus impressionné dans leur manière de vivre?

Dans les quartiers moins aisés où j'habitais, j'ai remarqué une vie de rue très vibrante à partir de 6 heures du matin. Les gens vivent beaucoup dans la rue. II y a beaucoup d'entraide entre les gens. Le système familial n'est pas juste nucléaire mais inclue les tantes, les oncles, jeunes et vieux ensemble, et on s'entraide beaucoup.

Le monde sourie constamment et il n'y a pas de gêne à se toucher. On voit souvent deux hommes ou deux femmes se promenant main dans la main.

Le monde s'habille simplement. II y a une ambiance spéciale, naturelle, un feeling difficile a décrire, intangible, que j'ai beaucoup aimé.


Vélo-Viet


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Publié dans Le monde à Bicyclette, édition printemps 1988.

Par Robert Silverman.


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